poison remède secours danger dangereux flacon fiole chimie acidL’actualité a tristement mis en une de nos informations la menace sur le droit à la liberté d’expression à travers le tragique attentat de caricaturistes français. Paradoxe de la situation, à travers les différentes initiatives mis en oeuvre depuis quelques temps et la volonté affichée d’instaurer un Patriot Act à la française, l’Etat s’apprête à prendre dans la précipitation des mesures liberticides sans précédent pour répondre justement à cette menace sur la liberté d’expression. Ce paradoxe étonnant est l’illustration parfaite du pharmakon, un vieux mot grec à l’origine du mot français pharmacie, remis au goût du jour numérique par le philosophe français Bernard Stiegler, mot qui désigne à la fois le poison, le remède et le bouc émissaire.

Alors en quoi la technologie et Internet en particulier sont-ils pharmacologiques ?

Parce que toute technique est fondamentalement ambivalente : l’écriture, par exemple, a pu et peut encore être aussi bien un instrument d’émancipation que d’aliénation. L’imprimerie a permis d’engendrer les Lumières par une diffusion de leurs idées, et dans le même temps a propagé les théories racistes d’Adolf Hitler dans Mein Kampf. On peut voir simultanément dans les technologies de la communication, un remède à l’obscurantisme, un poison, favorisant justement la diffusion d’idées dangereuses ou encore un bouc-émissaire, quand on accuse le média d’être à l’origine du mal. Un peu comme ceux, qui, pour se défausser des vrais questions qui se posent aujourd’hui à nous, accusent sans procès Internet et les réseaux sociaux d’être à l’origine de la radicalisation islamiste.

Tout d’abord, en quoi Internet peut-il constituer un poison ?

vector pixel illustration - white skull on dark backgroundUne banalité serait tout simplement de dire : « dans la mauvaise utilisation qui en est faite », bien sûr ! mais ce serait presque une lapalissade que de le dire. Cherchons donc plutôt ce qui en ferait intrinsèquement un poison (et qui donc contiendrait son remède). Média ouvert et en réseau, Internet est difficilement contrôlable, c’est comme une toile d’araignée ou une hydre, on la coupe à un endroit et elle repousse de l’autre.

Internet véhicule donc les pires abominations de l’humanité : pédophilie, terrorisme, trafic de drogues, d’organes ou d’enfants…et il est très difficile de bloquer tout ou partie de ces contenus illégaux au regard des législations nationales, au risque de tout bloquer et de toucher justement à des libertés fondamentales.

Par ailleurs, Internet est aujourd’hui un tel média de masse qu’il devient aujourd’hui très difficile de trier le bon grain de l’ivraie. Si le défi de la dernière décennie a été d’indexer les contenus d’Internet, (et cette tâche est sans doute achevée avec les outils dont nous disposons aujourd’hui), il faut désormais s’attacher à l’immense défi d’un Internet fiable, sûr et qui donne une réelle qualité aux informations accessibles.

Enfin, Internet et la puissance d’accès et d’analyse des données constituent l’instrument ultime pour mettre en place un vaste système de surveillance et de contrôle généralisé de la société très bien décrit dans l’ouvrage et le film de science-fiction 1984 de Georges Orwell.

Voyons désormais les choses du « bon côté » : en quoi le numérique  et Internet peuvent-il être un remède ?

E-learning. Tablet pc and textbooks. Education online.Les technologies numériques et les réseaux informatiques permettent des ruptures profondes qui apportent de nombreux bénéfices à nos sociétés. Nous en avons souvent parler dans cette chronique. C’est un média horizontal, décentralisée, accessible presque partout et par tous et donc très démocratique. Il permet à l’expression des minorités de se faire connaître comme cela a été le cas lors des révolutions arabes par exemple.

Ce média permet aussi de libres interactions entre utilisateurs, la diffusion des idées, des savoirs, des techniques et des connaissances comme jamais cela n’a été possible dans l’humanité. C’est sans doute ce qui permettra d’atteindre les objectifs d’une éducation massive dans les pays les plus pauvres car il brise les modèles de privatisation du savoir.

Internet et le numérique permettent aussi l’émergence d’une économie collaborative grâce aux technologies de pair à pair. En mettant en relation directement l’offre et la demande dans le temps et dans l’espace Internet permet par exemple le développement sans précédent de nouveaux usages   à valeur ajoutée sociale et environnementales comme covoiturage, le prêt de maisons, d’objets ou l’échange de services entre particuliers.

Enfin, la vaste mouvement de dématérialisation permis par le numérique génère aussi de nombreux bénéfices dans l’évolution des modes de travail avec le développement du télétravail et du coworking qui favorisent la qualité de vie, mais aussi dans l’évolution de la consommation et des loisirs avec un accès sans précédent aux oeuvres de l’esprit, aux arts et à la culture.

Comment dépasser cette double nature assez paradoxale ?

Vous l’avez compris, tout dépend pour quoi et comment on utilise les technologies numériques et les réseaux. Il ne sert donc à rien d’acclamer d’une main les réseaux sociaux qui permettent les révolutions démocratiques puis blâmer ces derniers de véhiculer des idées fanatiques. Internet n’est qu’un média. Même si certains lui attribue une nature intrinsèquement libertaire, il ne reste qu’un outil à notre service avec ses spécificités et ses règles. Il faut donc trouver les réponses spécifiques qui sont appropriées à la nature d’Internet et du numérique

Quels exemples concrets ?

Capture d’écran 2015-01-17 à 17.05.34Si le contrôle des contenus n’est pas possible, en revanche la notion de régulation d’Internet est souhaitable. C’est une gouvernance en réseau où chaque partie prenante est co-responsable. C’est d’ailleurs l’unique façon de réguler efficacement le réseau Internet et ses fondateurs l’ont compris depuis bien longtemps.

Si Internet en tant que tel n’est pas un territoire où s’appliquerait un droit spécifique, tous les droits et législations nationales ou locales s’appliquent sur Internet. S’il est interdit de tenir des propos racistes dans la vraie vie, la même règle qui s’applique sur Twitter ou Facebook. Il faut donc éduquer largement les utilisateurs d’Internet aux règles fondamentales de droit, d’éthique et de sécurité, nécessaires à un bon usage du web. Il faut également avoir une éducation critique à ces outils pour avoir un bon discernement et ne pas tomber trop facilement dans ses nombreux pièges.

Cela tombe bien car c’est le sujet d’un évènement exceptionnel sur l’éducation aux média qui se tiendra à la fin du mois à Saint-Etienne, qui s’appelle EVENT et qui est organisé par la facétieuse Dorie Bruyas, qui co-anime cette chronique avec moi.