anonymousRendus célèbres par l’utilisation d’un masque représentant Guy Fawkes, un prêtre anglais du 17ème siècle insurgé contre le pouvoir, les membres du collectif mondial des Anonymous se font régulièrement remarqués par des cyber-attaques coup de poing, tout azimut, qui font penser à une sorte de robin des bois des temps numériques qui rendent justice à partir d’Internet puis dans la vie réelle, de façon masquée. Récemment mis en avant dans leur volonté de lutter contre les cyber-djihadistes de Daesh, les Anonymous sont-ils de gentils cyber-pirates au bon coeur ou faut-il voir dans ce mouvement mondial anonyme une nouveau mode d’action altermondialiste évoluant dans les mondes connectés ?

Quelle est la nature et les objectifs de ce mouvement ?

C’est un mouvement hacktiviste et anonyme sur Internet. Je précise que l’orthographe du mot hacktiviste est une contraction du verbe anglais hack  (qui veut dire pirater) et de activisme, car les Anonymous sont des pirates informatiques qui mêlent des savoirs faire technologiques et des analyses politiques. Etant par définition anonymes, il est bien sûr très difficile de savoir qui ils sont. Ce mouvement repose essentiellement sur la volonté de défendre les libertés d’expression dans le monde et sur Internet. Même si on ne sait pas s’ils font partie des Anonymous, on connaît en revanche quelques hacktivistes célèbres comme Edward Snowden ou Julien Assange.

Quelles actions sont concrètement menées par les Anonymous ?

julian_assangeCette cyber communauté se met en réseau en 2003 et se fédèrent autour d’un slogan désormais célèbre : « Nous sommes anonymes, nous sommes légion. Nous ne pardonnons pas. Nous n’oublions pas. Attendez-vous à nous ». Pas très rassurant pour les futures victimes des Anons comme s’appellent entre eux les membres de la communauté. En 2006, ils attaquent le jeu en réseau Habbo en le noyant des milliers d’avatars fictifs car ce réseau social est accusé de racisme. En 2008, ils s’attaquent à l’Eglise de scientologie en bloquant une vidéo de propagande publiée par erreur par les scientologues. Cette action est la première de dimension mondiale et elle démontre que les Anons sont désormais très organisés et n’hésitent pas non plus à descendre dans la rue pour protester en mettant leur célèbre masque pour rester anonymes. En 2010, ils soutiennent Julian Assange dans le scandale Wikileaks en bloquant les sites de paiement Paypal et MasterCard qui veulent entraver le financement de Wikileaks. L’année d’après ils aident les révolutionnaires des printemps arabes en leur fournissant des kits de connexion et en bloquant les sites des autorités. Enfin, ils viennent de mener différentes actions pour pirater les principaux sites de propagande djihadistes et faire tomber des milliers de comptes twitter de ces fanatiques islamistes.

Ce type d’organisation est-elle une force ?

Ce qui est intéressant dans Anonymous c’est qu’il révèle et incarne ce qui fait précisément la force et la spécificité d’Internet : faire des choses rapidement avec des gens qu’on ne connaît pas forcément, dans une logique de réseau dispersé sur la planète et sans organisation hiérarchique. Les deux dénominateurs communs sont la maitrise et la passion pour la technologie et des idéaux politiques libertaires.

Peut-on qualifier les Anonymous de mouvement politique ?

altermondialistesOui sans aucun doute. Les Anonymous montrent très clairement dans leurs actions un engagement politique pour plusieurs causes très différentes : la liberté d’expression bien sûr dans les printemps arabes ou en s’attaquant par exemple au traité ACTA qui menace la neutralité d’Internet, la lutte contre finance spéculative avec le soutien à Occupy Wall Street ou encore l’écologie quand ils s’attaquent à la firme agro-chimique Monsanto. Globalement on peut dire que leurs actions s’apparentent aux combats des mouvements altermondialistes. Mais cela se fait de façon plus anarchique et moins coordonné. Anonymous est très clairement politique mais pas politisé car il est très difficile de mettre la main dessus.

C’est son côté « Robin des bois » ?

robin-des-bois DAOui les Anonymous jouent aussi sur cette image romantique qui leur assure une certaine popularité. Ils ont d’ailleurs pris l’habit du vengeur masqué au bon coeur en piratant un jour de Noël les cartes de crédits des clients d’un cabinet de renseignement américain et en reversant ce million de dollars spolié sous forme de dons à des organisations caritatives. Ce qui pose évidemment des questions éthiques car il s’agissait là clairement d’un vol, même s’il l’intention était présentée comme louable.

Quelles sont donc les limites de ce mouvement ?

cyberdjihadisteTout d’abord, les modes d’actions privilégiés par les membres d’Anonymous ont un caractère clairement illégal : vols et diffusion de données et ce qu’on appelle des attaques par déni de service ayant pour but de rendre indisponible un service informatique. Aux Etats-Unis, ce type de blocage est puni de 10 ans de prison. Difficile de justifier la fin par les moyens. Les Anonymous dénoncent un système en utilisant eux-mêmes des pratiques très contestables. Du coup ils peuvent aussi se tromper de cible ou même être contreproductifs. Par exemple en parasitant le travail des experts en sécurité informatique qui enquêtent sur les terroristes de Daesh. Par ailleurs l’extrême diversité des causes défendues par les Anonymous sont parfois contradictoires. L’anarchie et l’anonymat revendiqués du réseau sont à double tranchant car d’autres pirates informatiques peuvent facilement se faire passer pour des Anons et maquiller leurs cyber-crimes derrière une façade de gentils cyber-pirates. Comme on ne sait pas qui fait partie de la communauté cela peut être tout le monde et donc n’importe qui.

Quelle est finalement leur place, leur rôle et leur perspectives dans notre monde globalisé et ultra connecté ?

Sans doute celle de la « mouche du coche », inspirant une forme de résistance citoyenne aux super pouvoirs que représentent non seulement les Etats mais aussi les multinationales sur lesquelles nous avons peu de prise. Une sorte de contre-pouvoir numérique contenant à la fois des forces et des faiblesses. Une ambiguïté très humaine, finalement.

Jean Pouly

@jeanpouly

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