open sourceUne étude récente étude de la Haute Autorité pour le Diffusion des Oeuvre et la Protection des Droits sur Internet (HADOPI) réalisée suite au récent blocage de sites de streaming montre que pour une grande majorité des internautes Internet rime avec gratuité. C’est le premier critère dans la recherche d’un bien culturel sur Internet. Et à travers ce constat c’est la question des nouveaux modèles de création de valeur dans la société de l’information qui se pose. A partir du moment où la matière première de cette révolution industrielle est l’information donc concrètement les données, se pose légitimement la question du modèle économique de cette révolution industrielle. Et c’est là que nous pouvons observer quelque chose de nouveau par rapport au modèle d’avant : le règne de la gratuité, ou en tout cas une apparence de gratuité.

 Quelles sont ces nouvelles formes de gratuité ou pseudo-gratuité ?

 Tout d’abord, nous avons tous remarqué en tant qu’utilisateur d’Internet, du mail, des réseaux sociaux, des moteurs de recherche et d’une ensemble de services très avancés, que ces derniers étaient totalement gratuits. Ou presque. Pour de nombreux internautes, le coût principal supporté est l’acquisition d’un support de connexion : ordinateur, tablette ou smartphone et une connexion, le plus souvent un abonnement internet car on peut se connecter souvent gratuitement au WIFI. Ensuite, nous pouvons échanger un ensemble de fichiers gratuitement par les plateformes de peer to peer. Même si cela est parfois illégal car certains droits d’auteurs sont violés, force est de constater qu’aucune parade efficace n’a été trouvée, qu’une génération entière n’a jamais acheté une oeuvre et ne le fera sans doute jamais et que paradoxalement la création musicale ne s’est jamais aussi bien portée contrairement à ce que l’on entend parfois. Ensuite, il existe un autre pan entier de gratuité dans la société de l’information que l’on ignore parfois, et que les anglo-saxons appellent le « digital labour » autrement dit le travail gigantesque réalisé par les internautes eux-mêmes quand il cliquent sur le « j’aime » de Facebook, écrivent un article sur un blog ou font de la du classement, de l’indexation d’information. Toute cette activité est essentielle pour la production des revenus gigantesques des grandes sociétés de internet mais elle n’est bien sûr pas du tout rémunérée.

Comment expliquer ce phénomène  de gratuité généralisée ?

Pour bien comprendre il faut se souvenir que le coût marginal de reproduction d’une ressource numérique est nul ou quasi nul. Quand je produis une voiture ou une banane, je peux faire quelques économies d’échelle sur le nombre d’unités produites mais mon coût marginal de reproduction restera élevé car il faudra de nouveau une matière première et un travail important pour reproduire le bien. Dans l’économie numérique c’est différent. Une fois la ressource produite on peut la reproduire à l’infini sans coûts supplémentaires importants. Il y’a toujours de la maintenance et des évolutions à effectuer, des mises à jour à réaliser, du marketing mais pas de nouvelle matière première. Cette matière première informationnelle, nous l’avons vu, peut-être obtenue gratuitement, ou presque, dans un échange implicite : je te donne des services gratuitement contre tes données qui me rapporteront de l’argent pour faire du marketing. Si c’est gratuit c’est que nous sommes le produit comme dit désormais l’adage de l’économie numérique.

 Donc la gratuité n’existerait pas vraiment ?

On peut raisonner différemment en disant qu’il existe toujours des échanges entre différentes parties mais qui ne sont pas forcément concrétisés par des échanges de monnaies. Et puis, il faut mentionner ici une façon beaucoup plus volontaire de mettre gratuitement sa force de travail au service des autres dans le monde numérique : c’est le mouvement déjà très ancien de l’opensource qui est à l’origine même de l’informatique. Ce mouvement est aussi à l’origine des principales innovations dans l’informatique et pourtant il repose en grande partie sur le bénévolat de millions d’ingénieurs, codeurs, étudiants et pas sur le paiement de licences. Dans cette économie des logiciels libres, on paie le service mais pas la propriété intellectuelle. Cette économie ne concerne pas seulement les logiciels mais aussi les contenus avec par exemple l’encyclopédie collaborative Wikipedia et le principe de la licence creative commons qui permet de reprendre, modifier (et, si possible améliorer) une ressource produite (cours, texte, illustrations) en mentionnant l’auteur et en s’engager à la laisser également libre de droits. Toutes les variantes existent dans ce types de licences dites libres. Mais il est important de bien parler d’opensource, donc de sources ouvertes plutôt que verrouillées, car en anglais il y a souvent une confusion sur le terme free qui veut dire à la fois libre et gratuit. Or une données numérique peut-être gratuite mais pas libre et inversement. Ou les deux. Ce qui compte c’est le libre accès à la source.

On pourrait donc dire que l’économie du don est inscrite dans l’ADN de l’Internet ?

Par la nature même des biens échangés qui sont à la fois numériques, donc facilement reproductibles,  et informationnelles, éducatifs et culturels les biens numériques constituent des biens très particuliers. Quand vous donnez à quelqu’un un savoir, une information ou une photo numérique, vous ne la perdez pas.

 Mais quelles sont les limites de cette gratuité ?

Chaque seconde, les 20 millions d’utilisateurs de Google travaillent « gratuitement » pour Google qui a finalement très peu de charges au regard de revenus qu’il génèrent. Et ces « travailleurs digitaux » ne le savent pas ou en tous cas ne revendiquent rien. Comparé à l’économie industrielle, ce qui est génial, c’est que ceux qui sont exploités ne se sentent pas exploités car on ne subit pas (encore) toutes les conséquences de cette nouvelle forme de travail. En poussant la comparaison, avec l’économie industrielle et le prolétariat qui l’a permise, on commence à parler d’un « cognitariat », qui s’ignore peut-être encore mais qui contribue très largement et directement à la création de valeur de cette société de l’information et de la connaissance. Après le capitalisme industrielle on vivrait aujourd’hui à l’heure du capitalisme cognitif. Les questions du droit d’auteur et de la propriété des données dont nous avons déjà parlé se pose donc directement. Ceux qui défendent l’information comme un  « bien commun » proposent justement une généralisation des licences « creative communs » pour que la valeur crée puisse être mieux partagée et non pas captée au seul bénéfices des grandes majors du secteur de l’Internet. Le mouvement du peer to peer qui connait un succès grandissant repose ainsi sur le partage, la « collectivisation » des données. La loi HADOPI, qui est elle est un échec totale, montre de son côté que cette collectivisation n’est pas neutre au niveau politique.

On peut donc imaginer des mouvements politiques sur cette question ?

Il y a déjà eu différents mouvements en ligne de protestation et des class actions aux USA sur ces questions par rapport à certaines dispositions techniques que les majors tentaient d’imposer. En fait la question de fond qui se pose est comment construire la régulation du réseau Internet et c’est une question éminemment politique. Certains souhaitent même la  création d’un social network unionism, un syndicat du réseau qu’on pourrait appeler « syndicat du cliqueur ». dans cette hypothèse, faire une journée sans clic comme il y a eu une journée sans télé serait la nouvelle façon de faire grève !!

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