La récente fermeture du mythique Virgin Megastore des Champs Elysées résonne comme un nouveau signal dans la profonde mutation que vit le secteur de l’industrie culturelle. Assis sur un tas d’or, notamment dans le secteur musical, les industries culturelles n’ont pas vu venir les nouveaux modèles de production, de diffusion et de consommation des biens culturels et ont aujourd’hui du mal à s’adapter à un contexte où une nouvelle forme de “gratuité payante” s’est durablement installée dans les habitudes de consommation.
Quelles sont les fondamentaux de cette nouvelle donne numérique pour les industries culturelles ?
Pour bien comprendre l’évolution actuelle, il faut avoir à l’esprit que les industries culturelles ont toujours été fortement liées à leur environnement technique : que ce soit la photographie avec le papier, le disque vinyle ou la cassette vidéo magnétique, qui ont tous amorcé dans les années 90 un tournant vers les supports numériques. Ce changement a plusieurs caractéristiques : la compression numérique qui transforme l’information en 1 et en 0 permet tout à la fois la une baisse des coûts de reproduction, miniaturisation des supports, leur démocratisation et surtout le transport quasi illimité des biens culturels, que ce soit des livres, de la musique ou du cinéma, sur les réseaux informatiques. L’avènement, à la fin des années 90 des réseaux peer to peer avec le précurseur d’échange de fichiers musicaux Napster avait montré la voie de ce que deviendrait probablement le nouveau marché des biens culturels : un vaste réseau mondial décentralisé où les règles du jeu étaient à repenser totalement dans un système horizontal avec de nouveaux acteurs.
Pour quelles raisons le secteur des industries culturelles n’a pas anticipé ce tournant ?
Les raisons sont multiples. Quand on est assis sur un tas d’or dans un système de rente, il est difficile de se remettre en cause. De plus, le système que j’appellerai ancien car il est à mon sens depuis longtemps dépassé, reposait largement sur la perception de droits d’auteurs, d’ayant droits, basé sur la maîtrise des supports de diffusion. Cette maîtrise ayant partiellement échappé à leurs gestionnaires, comme par exemple les très puissantes sociétés des auteurs compositeurs, le piratage et donc la gratuité s’est très vite imposée dans les esprits et les habitudes de consommation.
Ce qui a fait chuter les ventes de disques par exemple, de façon vertigineuse. Aux Etats-Unis par exemple la baisse des ventes de DVD entre 2006 et 2010 a été de 30% et cela était quasiment inexorable jusqu’à cette année où les ventes se sont enfin stabilisées.
De plus, les sociétés d’auteurs, au lieu d’inventer un nouveau système, de s’adapter à cette nouvelle donne ont préféré intensifier leur lobby pour faire passer une loi anachronique dans l’ère numérique, la loi HADOPI, qui restera comme une exception au bon sens pour qui connaît un peu le fonctionnement des réseaux.
Enfin, la nature ayant horreur du vide, de nouveaux acteurs ont investi le marché et ils sont très puissants. Apple, Amazon, Google ou Facebook, que je cite régulièrement à cette antenne ont su comprendre avant les autres que tout se jouerait sur la maîtrise des nouveaux supports de diffusion et des canaux de distribution. De fait Apple a inventé un modèle génial avec l’Ipod et l’Apple Store où il gagne deux fois de l’argent, sur le support et sur le morceau de musique alors que ce n’est pas son métier d’origine. Le système de gratuité payante a donc transféré la valeur vers ceux qui captent l’audience et qui génèrent des revenus en vendant d’autres biens comme de la publicité, du matériel numérique ou d’autres produits n’ayant rien à voir avec les biens culturels.
Quelles sont les perspectives de ce secteur ?
Il faut d’abord bien regarder les nouvelles pratiques pour comprendre qu’on a changé de monde. Car les habitudes change. Aujourd’hui, le temps d’utilisation d’Internet vient de dépasse celui de la télévision. On zappe beaucoup plus, on picore et on pioche ce que l’on veut sur différents supports. On peut revoir les émissions de télé avec les offre replay comme sur Pluzz par exemple sur n’importe quel support. Dans un marché, il faut toujours se préoccuper de la demande. C’est ce qu’on compris les grands sites d’audience qui ont suivi ce que les économistes appellent le modèle biface, qui consistent à monétiser de l’audience obtenue grâce à des contenus riches. il se trouvent que les perdant du système sont les ayant droits.
De fait, on peut imaginer plusieurs scenarii. Soient les ayant droit gagnent leur bras de fer avec des sociétés plus grosses qu’eux et se mettent d’accord sur le partage des revenus en agitant la menace de procès qui ne sont pas gagnés d’avance. C’est le même combat que celui entre Google et les éditeurs de presse qui nous l’avons vu s’est pour l’instant soldé par un arrangement à l’amiable. Soit de nouveaux systèmes de production et de diffusion se développent et les majors actuelles vont disparaître. Pour l’instant, les tentatives d’alliances ou de fusion entre les industries de contenants et de contenus se sont soldées par des échecs et on va plutôt vers des stratégies de convergence à plus petites échelles avec des opérateurs triple play qui proposent du contenu pour augmenter le panier moyen de leurs abonnés. Des acteurs comme Deezer ou Spotifiy qui ont les premiers proposé des modèles alternatifs avec du streaming gratuit et des abonnements payant avantageux vont sans doute devenir des acteurs incontournables. La licence globale qui a été proposée coimme alternative au piratage a toujours été refusé pour des raisons obscures mais les plateformes de streaming propose finalement quelque chose d’assez similiaire. Enfin, la Google TV qui existe aux Etats Unis fera peut-être demain concurrence avec France Télévision…
Cette situation ne risque t-il pas de remettre en cause le financement de la création et la diversité culturelle ?
Oui et non car là aussi le jeu est totalement ouvert. Nous avons récemment parlé du crowdfunding et des plateformes comme Mymajorcompany qui permettent à tous le monde de lancer son disque ou de financer son scenario. Je pense que ce modèle va prospérer car il est plus démocratique et stimule la créativité.
Il ne faut pas oublier que dans ce nouveau système les coûts de production ont chuté et que la diffusion est très accessible à tous avec des systèmes de viralité puissants comme les réseaux sociaux. Je pense donc que les nouvelles majors du système seront probablement Google et Facebook qui vont truster en quelque sorte les nouvelles pépites créatives grâce à leur audience et leurs algorythmes et que les nouveaux modèles économiques sont en train de se construire en dehors des systèmes traditionnels des ayant droits.
Quels sont les risques de ces nouveaux modèles ?
Ce sont les mêmes que ceux de l’ancien modèle avec le risque des monopoles et d’une paupérisation de la création. Va t-on passer d’un monopole à l’autre ? C’est tout à fait possible quand on voit la puissance des plateformes américaines mais dans le même temps, je trouve que le risque d’appauvrissement de la création, souvent agité par les lobby des auteurs est sans doute exagéré car la facilité de production du monde numérique actuel va sans doute donner plus de chance de voir émerger des nouveaux talents que dans le monde ancien où les majors savaient fabriquer des stars avec du marketing en laissant parfois de côté… le talent.
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