Dossiers électroniques des patients, consultations et opérations à distance mais aussi recherche d’informations médicales sur Internet, coaching numérique médical ou encore santé prédictive sont différentes facettes de ce que j’appellerai la santé numérique ou la e-santé, un vaste champs de transformation en cours. Un peu à l’image de l’éducation dont les modalités de recherche et de transmissions sont totalement bouleversées par l’intégration massive des technologies numériques, tant au niveau des outils , des praticiens que des patients eux-mêmes, de plus en plus équipés, et demandeurs de nouvelles formes de pratiques, inventeurs de nouveaux usages.

Quels sont les principaux enjeux ?

Tout d’abord, il y a la pratique même de la médecine qui évolue sous l’influence du numérique et des réseaux : des opérations assistées par des robots et qui peuvent se faire à distance, des génomes analysés par des super-calculateurs, un outillage de mesure toujours plus en pointe pour assister le corps médical. C’est ce que j’appellerai l’outillage numérique médical. Et puis, il y a l’intégration des techniques d’intelligence artificielle  et de web sémantique dans la médecine qui structure deux grandes nouvelles formes de pratique médicale : la médecine personnalisée et la médecine prédictive. Car la médecine, c’est d’abord et avant tout un enjeu de traitement de l’information entre un patient et désormais, un ensemble d’interlocuteurs. Contrairement à ce qu’elle incarne traditionnellement à travers les soignants, les médicaments ou les hôpitaux, la médecine est un écosystème complexe où l’information est stratégique, où elle constitue le capital central de la médecine, tant dans la prévention que dans les parcours de soin. On se rend compte du rôle et du prix de l’information par exemple quand le monde fait face à une épidémie de grippe. Des réseaux de veille et de relais de l’information permettent d’anticiper les pandémies, de trouver des parades avant que le virus mute ou se propage trop vite. Avec les progrès des calculateurs, des moteurs de recherche, du web sémantique et du traitement des données, de nouvelles formes de médecines vont apparaître.

Comment les technologies numériques peuvent-elle améliorer le traitement de l’information médicale ?

La médecine personnalisée est sans doute l’enjeu le plus important. Un peu comme l’éducation ou le marketing qui ont été conçus pour une masse globale d’individus sans pouvoir encore tenir compte des spécificités de chacun. On toujours raisonné sur une moyenne donc on a toujours faux ou pas vraiment tort, c’est comme on veut. En effet, comme nous sommes tous uniques, avec des caractéristiques souvent très différentes d’un individu à l’autre, les protocoles et les traitements de masse sont souvent peu adaptés et parfois très coûteux. C’est ce qui explique par exemple le succès actuel du théranostic, une technique qui permet de vérifier qu’un patient est réceptif à une molécule et donc d’éviter d’administrer des traitements coûteux à tout le monde sans savoir mesurer scientifiquement son efficacité. D’autres projets reposent sur l’utilisation des milliards de données collectées par le système médical. On a en France un système de santé universel qui nous permet d’avoir un ensemble unique de données, contrairement aux Etats Unis par où il faut recouper des données de différentes assurances. Cette mine d’or informationelle permettrait, si elle était mieux utilisée et analysée de mettre en relief différentes occurrences qui montrerait par exemple que tel médicament associé à tel autre engendre plus de guérison ou plus de morbidité.

 Une sorte de big data médical 

Les promesses du big data dans le domaine médical sont nombreuses : la prévention, avec un suivi des patients les incitant à changer leurs habitudes; le diagnostic en aidant les médecins à choisir le traitement le plus approprié; le personnel médical, en déterminant si le patient a besoin d’une infirmière, d’un généraliste ou d’un spécialiste; la maîtrise des coûts, à la fois en automatisant les procédures de remboursement et en détectant les fraudes et l’innovation, bien sûr à travers les multiples apports du calcul intensif pour comprendre le vivant et améliorer les traitements. Le cabinet Mac Kinsey chiffre les économies aux Etats-Unis à près de 450 milliards de dollars par an sur un total de 2600 milliards. Un enjeu de taille à l’heure des menaces sur les systèmes de santé.

Est-ce que nous sommes prêts à cette révolution ?

 Au niveau des patients oui, au niveau du monde médical, il y a plus de résistances. Selon un baromètre récent de l’IFOP plus de trois Français sur quatre se disent favorables aux échanges réguliers par e-mails ou SMS avec leur médecin traitant pour des maladies ou problèmes de santé bénins. Plus de huit sondés sur dix (83%) aimeraient par ailleurs contacter par voie électronique l’équipe soignante chargée du suivi d’une maladie chronique. Le suivi post-opératoire pourrait également se faire par le biais des nouvelles technologies. Une large majorité d’entre eux (85%) se déclare favorable à ce dossier électronique, soit 11 points de plus qu’il y a trois ans. Enfin, la quasi-totalité des sondés (92%) sont prêts à jouer le jeu en alimentant leur dossier médical.

 Quelles sont les limites dans ce traitement massif de données ?

Les questions de déontologie sont centrales car ces données sont à la fois sensibles et personnelles et elles circulent dans les réseaux. Et puis, la médecine prédictive porte en elle un risque de dérive eugénique. Si l’on sait mesurer précisément et à l’avance nos chances d’avoir la maladie de Parkinson ou un d’avoir cancer du poumon, il est probable que l’on empêche de nombreux êtres humains de vivre ou encore les mutuelles de nous assurer. Le coût du séquençage génomique ayant chuté ces dernières années, il est désormais banal aux USA d’obtenir sa carte d’identité génomique. Je crains que sans encadrements, cette médecine dite prédictive et toute la recherche génétique puissent déraper. De plus, toutes ces promesses technologiques sont à contrebalancer avec les nombreuses erreurs et bugs possibles. Rien n’est jamais infaillible et ne pourra remplacer la finesse d’analyse de l’intervention humaine ni la richesse de son intervention dans le suivi des patients.

Le médecin comme l’instituteur n’est plus le « puits de savoirs » mais il va devenir de plus en plus un manager de connaissances médicales, un coach personnel pour mieux vivre et nous orienter dans l’innovation sans cesse plus grande de la technologie. Enfin, je pense que la non adaptation du système actuel à cette évolution favoriserait le succès de « charlatans numériques »  et des pratiques dangereuses comme l’auto-diagnostic en ligne, l’auto-médication.

La médecine doit donc investir sans crainte ce nouveau champs d’investigation pour une fois encore, se renouveler.

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