Les rentrées scolaires et universitaires sont souvent l’occasion d’affirmer que notre système scolaire n’est plus adapté, qu’il fabrique des chômeurs, qu’il régresse et donc que son rang baisse systématiquement dans les classements internationaux. Peu de commentateurs soulignent que l’éducation est actuellement traversé d’un profond bouleversement avec l’introduction des technologies de l’information et de la communication. Sans doute par méconnaissance, de nombreux enseignants sont assez frileux voir hostiles à ce qu’on appelle l’éducation numérique, comme si on avait refusé d’utiliser les livres après des millénaires de transmission orale.

Peut-on vraiment comparer avec le passage de l’oral à l’écrit ?

Oui et non. Si l’on parle si souvent de révolution numérique c’est bien qu’il s’agit de’un profond bouleversement, notamment dans le mode de production, de transmission et d’échange des informations, donc par conséquent, des savoirs et des connaissances. Il est sans doute trop tôt pour savoir si le numérique va autant bouleverser le monde que l’imprimerie, en tout cas, le philosophe Michel Serres, lui le pense, mais une chose est certaine, la pédagogie, sorte de science de la transmission des connaissances, est profondément impactée par le numérique et cela paraît irréversible.

Qu’est-ce qui change vraiment ?

Pendant, des siècles, l’enseignant a été perçu comme un “puit de savoirs” qui fondait son autorité sur la détention et la transmission de ce capital intellectuel. La pédagogie que l’on connaît s’est d’ailleurs construite sur ce modèle assez vertical. On appelle cela les cours magistraux. Aujourd’hui, les informations sont accessibles quasiment à tous, de façon immédiate et partout. Vous taper théorème de Pythagore sur Google et vous trouverez immédiatement et sans classement logique, à la fois sa biographie, des schémas expliquant le théorème, des animations en 3D, des forums de discussion d’enseignants ou des protraits dessinés de cet illustre mathématicien grec. Cela a de nombreuses conséquences. D’une part, l’accès à l’information n’est donc plus le monopole de l’enseignant. D’autre part, les types d’informations sont très nombreuses et multimédia. Enfin, ces informations sont livrées “brutes de décoffrage”. Il faut les vérifier, les décoder, les re-situer dans leur contexte, les classer, les assembler pour passer d’une information à une connaissance. C’est un vrai travail de médiation qui est aujourd’hui demandé aux enseignants.

Mais pour faire de travail de médiation, de décodage, d’assemblage dans le contexte d’une société de l’information encore faut-il bien connaître les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE) qui ne sont pas un métier mais un ensemble d’outils et d’usages possibles et par nature évoluent constamment.

Les enseignants sont-ils les seuls concernés par ce bouleversement ?

Non, les élèves aussi, bien sûr. Qu’ils soient “digital native” comme on dit ou ayant aussi été élevés avec des livres, les jeunes générations arrivent avec une excellente maîtrise technique de ces outils et s’adaptent très facilement à leurs évolutions. Ils développent des modes d’apprentissage t liés à la nature des outils qu’ils manipulent et c’est là parfois qu’il y a un malentendu.

Avec le numérique on fait par exemple du copier collé, on est dans une navigation hyper-textuelle, on est dans une expression multimédia, on fonctionne et on raisonne en multitâche. Ce n’est pas neutre.

On a par exemple, tendance à affirmer que les jeunes ne retiennent plus rien car ils n’écrivent plus. En réalité, les supports de mémoire comme le livre et désormais l’ordinateur ou la tablette, libèrent en quelque sorte de la mémoire qui est utilisée pour autre chose. Les jeunes sont par exemple très agiles dans le multitâche, qui est une fonction propre aux TIC. Cela déconcerte souvent les enseignants qui ont une tendance naturelle à évaluer de nouvelles pratiques avec de anciens critères. C’est comme si l’on affirmait qu’un élève qui sait poser une division à la main est meilleur que celui qui sait manipuler toutes les fonctions d’une calculatrice. C’est deux choses différentes qui ne se substituent pas.

Concrètement quels sont les principaux outils numériques dont disposent les enseignants ?

L’ordinateur, qui a été vu comme l’outil central est peut-être déjà obsolète. Les tablettes tactiles et les tableaux numériques interactifs sont sans doute les supports les plus prometteurs. La tablettte comme une sorte de cahier pour l’élève et le tableau blanc comme le successeur du bon vieux tableau noir.  L’enseignant peut aussi utiliser Internet pour le suivi des leçons, pour mettre en place des travaux collaboratifs, être en contact avec les parents, solliciter des ressources éducatives, produire et partager ses cours. C’est un nouveau monde dont, je pense il faut se saisir dans peur ni fantasmes.

Ou en sommes nous réellement en France ?

Le rapport sur l’éducation numérique réalisé par le député JM Fourgous il y a 2 ans est assez sévère avec notre pays. Nous sommes classés 24ème sur 27 dans l’Union Européenne. Si l’on compare par exemple l’équipement des classes en tableaux numériques interactifs, les anglais sont équipés à 72% et nous à 10% à peine.

Au-delà des équipements, je crois qu’il y a un vrai traumatisme du corps enseignant face à l’informatique lié au désastre du plan informatique pout tous de l’année 1985, qui avait vu des milliers d’ordinateurs finir dans les placard, faute de formation des enseignants.

Aujourd’hui, le défi est de réinventer le métier d’enseignant car les métiers d’aujourd’hui et de demain requièrent pour la plupart une excellente maîtrise de l’univers numérique. En 2010, les 10 métiers les plus prisés n’existaient pas en 2004. L’enjeu de l’éducation numérique est donc de préparer aux emplois de demain même si cela révolutionne le métier d’enseignants. Il y a sans doute toute une éducation critique aux nouveaux médias à inventer, une nouvelle pédagogie à construire beaucoup plus qu’un seul apprentissage technique, qui ne suffit plus.

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