On vient de dépasser le 1 milliard d’abonnés sur Facebook, il y aurait plus 2 milliards d’ordinateurs en circulation dans le monde et presqu’autant de téléphones portables que d’êtres humains.On peut donc considérer que la société de l’information est totalement mondiale et c’est d’ailleurs vrai. Pourtant, il y a des régions entières du monde et des milliards d’individus qui sont totalement absents de cette révolution numérique, tant au niveau de la connexion à Internet que de l’équipement informatique, et surtout des usages et des contenus qui en découlent. Cette fracture numérique, comme on l’appelle, s’ajoute et renforce souvent d’autres inégalités et crée ce que l’on peut appeler un véritable illettrisme numérique.
En pourquoi la fracture numérique est-elle un problème ?
Et bien si l’on considère que ce qui se passe aujourd’hui est de l’ordre de ce que l’on a connu avec la généralisation de l’écriture ou de l’imprimerie à la Renaissance, il existe un risque de faire perdurer une société de l’information à deux vitesses, avec des info-pauvres et des info-riches. Si vous faites partie de cette société de l’information, que vous déchiffrez ses codes, inventez ses usages, vous en tirez de nombreux bénéfices tout en évitant ses pièges. Mais encore faut-il pouvoir en faire partie !! Ce qui n’est encore pas le cas de milliards d’individus dans le monde, que ce soit pour des raisons économiques, sociales ou culturelles. Il existe en effet différentes fractures numériques. Celle de l’accès au matériel, de la connexion internet ou téléphonique, qui est la plus connue mais il y a aussi une fracture énergétique qui prive de communications de nombreuses zones rurales dans le monde. Enfin, et c’est sans doute la moins mise en avant mais la fracture la plus profonde concerne la compréhension même des outils, des logiciels, des usages, des contenus, c’est une fracture dite cognitive.
Il ne faut pas oublier qu’Internet un média qui nécessite une maîtrise de la lecture, de l’écriture mais aussi de nouvelles notions comme par exemple de la navigation hypertexte et d’une compréhension de tout un univers informatique très fluctuant où chaque jour apporte une nouvelle innovation. Et c’est souvent les catégories les plus exclues, les chômeurs, les personnes âgées, les immigrés qui vivent cette exclusion numérique. Pour bien comprendre la portée de la fracture numérique, il suffit de se projeter sans une connexion internet et l’accès à son téléphone portable pendant quelques jours, voir quelques heures. Que diable ferions-nous alors ?
Quelles est la réalité de cette fracture aujourd’hui ?
Il faut dire que les choses ont beaucoup évolué positivement depuis une dizaine d’années. En France on est passé à 10% d’internautes en 2000 à près de 70% aujourd’hui. En Afrique, où l’Internet a été pendant longtemps quasi inexistant, on est à 15% de taux de pénétration de l’internet et près de 40% pour la téléphonie mobile. On se demande même si ce n’est pas le téléphone qui sera le premier support d’Internet en Afrique car sur ce continent, on a assisté à ce qu’on appelle un leapfrog ou saut de grenouille, en passant directement de rien du tout à la téléphonie 3G. L’étape du téléphone fixe a été sautée. En réalité, le téléphone mobile et je pense demain la tablette numérique, correspondent beaucoup mieux au contexte africain. Un téléphone portable a une autonomie électrique assez longue , consomme peu, est léger et ne craint ni le chaud ni la poussière, son usage est facile intuitif et peut même être utilisé facilement par quelqu’un qui ne sait pas lire.
On a donc fait d’immense progrès mais il reste du chemin à faire pour désenclaver les zones les plus reculées qui paradoxalement auraient le plus besoin d’être connectée. Et puis, les fractures cognitives persisent et se déplacent constamment car la vitesse d’évolution de l’Internet crée chaque jour de nouvelles applications, des nouveautés qui creuse le fossé numérique
Qu’est-ce que la solidarité numérique ?
Et bien je vais donner un exemple concret et très récent. Je reviens tout juste du Sommet de la Francophonie à Kinshasa où j’ai passé la semaine à promouvoir un projet de solidarité numérique assez original qui utilise les nouvelles technologies de l’information pour former les enseignants et produire des contenus éducatifs africains. Ce projet de la coopération française utilise notamment les vidéopojecteurs interactifs et les logiciels libres pour transformer les murs des écoles en immense tableau interactif.
J’ai été très frappé par l’attraction que produit ces technologies sur les enseignants et les élèves qui d’un coup accèdent au meilleur de ce qui se fait dans le monde. L’adoption des outils est immédiate, il n’y a aucun freins ni peurs par rapport à la technologie, au contraire, un gros appétit de connaître. La prise en mains nécessite peu de formation technique, un peu comme le téléphone portable. Ce projet incarne une forme solidarité numérique qui est à portée de main de tous les enseignants, mais pas seulement, celle de partager librement le savoir.
C’est tout l’enjeu de ce que l’on appelle les ressources éducatives libres. En effet, une fois que la production d’une ressource éducative est payée à un ou plusieurs auteurs, par exemple un manuel scolaire, le coût de sa reproduction numérique est quasiment nulle. Cela veut dire, que si l’on accepte de mettre des ressources éducatives en format libre, par exemple en licence creative commons, on peut résoudre l’immense problème de l’absence de manuel scolaire en Afrique grâce au numérique.
L’Université de Lyon dispose par exemple de 23 000 ressources éducatives libres de droit que n’importe qui peut utiliser. C’est un trésor accessible à tous, car il n’est pas nécessaire d’avoir une connexion à Internet. Un manuel scolaire tient sur une clé USB et toute l’encyclopédie Wikipédia en français tient sur un espace de 16 giga, ce qui représenterait une pyramide de 50 m de livres empilés les uns sur les autres.
Bien sûr il faut avoir accès à du matériel mais ce dernier a fortement baissé et aujourd’hui, on peut monter des classes numériques à moins de 500 dollars. C’est largement accessible et surtout cela peut être financé par des bailleurs internationaux. De plus une génération d’entrepreneurs numériques est en train de naître en Afrique. J’ai eu la chance de rencontrer Vérone Mankou, l’inventeur de la première tablette numérique africaine accessible à 200 dollars.
Internet peut-il aussi créer de nouvelles formes de solidarité ?
Oui et c’est d’ailleurs ce qui se développe le plus aujourd’hui. C’est en quelque sorte la solidarité par le numérique. Nous avions rapidement abordé ensemble la question du crowdfunding qui se développe très fortement actuellement et qui permet à des projets de bénéficier une chaîne de solidarité numérique où les internautes financent des projets
Fin septembre s’est tenue en France la “Social Good Week” une initiative qui propose de mettre en avant les projets qui utilisent Internet comme moyen de solidarité. En France, il faut savoir que les plateformes de financement participatif solidaire comme Mail for Good ont déjà financé plus de 10 000 projets.
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