Under Construction.Artisan numérique ? Une formule un peu étonnante dans cette chronique tant on assimile l’artisanat à des métiers manuels, anciens et assez éloignés des technologies numériques. Mais à y regarder de plus près, l’explosion des métiers dans le secteur numérique concerne davantage une multitude de travailleurs indépendants qui bricolent et inventent de nouveaux outils et services plutôt que des batteries de salariés spécialisés concentrés dans de grandes multinationales du numérique. Ce renouveau de l’artisanat est plutôt une bonne nouvelle car cette forme d’organisation du travail génèrent de nombreux impacts très positifs pour la société.  Il faut cependant mettre cette évolution en balance face un autre mouvement contraire que l’on observe depuis quelques années : celui de la consolidation des énormes plateformes technologiques du web, détenus par les majors du secteur numérique et qui veulent à tout prix contrôler le web, son trafic, ses données dans un logique totalement opposée à l’artisanat. Un nouveau bras de fer s’engage…

Comment expliquer ce retour en force de l’artisanat ?

monde du travailIl est probable que le modèle massif du salariat mis au monde par la révolution industrielle soit en train d’exploser. Aujourd’hui la plupart des grandes entreprises externalisent de nombreuses fonctions auprès d’agents indépendants. Ceux-ci ne cessent de croître en France comme dans le monde industrialisé. Les américains prévoient d’ailleurs une proportion de 40% de travailleurs indépendants à l’horizon 2020. Et c’est le secteur numérique qui tire cette évolution.

D’une part à cause du développement de ces nouveaux artisans numériques et d’autre part à cause des nouvelles formes de travail rendue possible par le numérique. Chacun peut travailler de chez soi, d’un centre de coworking de façon indépendante. L’économie du 21ème siècle contourne ainsi l’extrême rigidité héritée des modèles d’organisation sociale du travail du 20ème siècle.

Quel est le portrait robot de ce nouveau profil d’artisans ?

421c5a3b-a51b-4021-b094-cd4595391da4La crise structurelle que nous connaissons et dont le numérique est un agent pathogène détruit et crée, dans le même temps, des millions d’emplois. Les générations Y et Z ont bien compris ce phénomène et investissent donc massivement l’entrepreneuriat numérique et deviennent des artisans numériques même si ce terme n’est pas vraiment valorisé ni utilisé tant il fait référence à des métiers manuels. Ce qui est surprenant car dans le numérique on travaille certes avec sa tête mais aussi avec ses doigts, c’est ce qu’on nomme le digital….

On peut donc dire que ces nouveaux artisans sont jeunes, assez diplômés, et connaissant assez bien l’univers numérique car ils y baignent depuis longtemps. Mais surtout ils sont créatifs, autonomes, en réseau, agiles et ouverts à l’innovation. On les retrouvent massivement dans les centres de coworking, sorte de nouveaux centres de production de cette économie numérique.

Quelle plus value de ces artisans ? Qu’apportent-ils à l’économie ?

coworking 3Tout d’abord ils sont des créateurs. Ils apportent donc des idées nouvelles, de nouveaux services, de nouveaux outils bénéfiques pour l’économie. Ils créent les bases des produits et des services nécessaires à l’économie de notre siècle. Les centres de coworking hébergent d’ailleurs de nombreux artisans numériques à l’origine des plus belles success stories du web.

Ensuite, ces artisans sont inscrits dans une économie territoriale équilibrée. On peut tous travailler de chez soi, d’un centre de coworking proche de chez soi, dans les transports ou de chez ses clients. D’une certaine façon on revient dans la situation d’avant la première révolution industrielle où l’on travaillait massivement de chez soi ou dans une petite manufacture proche de chez soi. Cela génère une économie de proximité, décentralisée, proche des préoccupations des gens. Cela recrée du lien social et de l’activité dans les zones périphériques et rurales.

Ce mouvement est-il pérenne ?

Il est probable que cette génération Y et Z deviennent tous des artisans numériques et qu’ils le restent. La très grandes majorité de ceux qui ont goûté à cette liberté ne veulent pas la perdre et les emplois classiques de l’économie du 20ème siècle ne font plus du tout rêver. Même leurs derniers privilèges comme par exemple la fameuse garantie de l’emploi sont en train de tomber. Il est donc très probable que ce mouvement perdure à condition qu’il écarte deux grandes menaces.

Justement, quelles sont les limites de ce modèle artisanal et à quelles menaces est il confronté ?

Ce qui a prévalu dans la naissance du salariat et du syndicalisme au moment de la révolution industrielle c’est la prise de conscience que nous étions plus forts ensemble pour se protéger des aléas de la vie et du travail en créant les premières caisses mutualistes et les assurances chômage. C’est un des défis des artisans numériques qui sont disons-le aujourd’hui massivement précaires. Leur jeunesse constitue un atout et nombre d’entre eux n’ont pas encore de famille,  de gros problèmes de santé ou de mise à jour de leurs compétences. Il faut donc que ce secteur de l’artisanat s’organise, se fédère pour se consolider.

Google Big BrotherUn autre risque majeur qu’encoure l’artisanat numérique et que pointe l’excellent bloggeur Thierry Crouzet est ce que l’on peut appeler la « plateformisation » du web. Si Internet a été crée dans une logique horizontale et décentralisée, force est de constater aujourd’hui que ce n’est plus le cas et que les grandes majors du secteur trustent le marché dans une logique verticale, propriétaire et monopolistique. Il y a 20 ans on pouvait facilement trouver en tête d’une recherche sur internet un petit hôtel. Aujourd’hui, impossible d’éviter les intermédiaires comme Tripadvisor, Expédia ou Booking qui nous rendent certes un service mais fragilisent le secteur hôtelier artisanal par un véritable racket sur les commissions qu’ils prennent.

Quels alternatives possibles ?

degoogliosnsFace à ce risque les artisans numériques ont des atouts : ils sont des interfaces humaines et de proximité pour aider chacun d’entre nous à décoder le numérique et se l’approprier. Ils peuvent donc jouer l’atout de la relation humaine face aux grandes plateformes. Il existe aussi des alternatives aux grandes multinationales du numérique notamment à travers le mouvement open source qui d’ailleurs vient de lancer une initiative intéressante baptisée « Dégooglelisons Internet ».

Enfin, ce mouvement des artisans numériques rejoint aussi celui qu’on appelle les makers, ces producteurs de la nouvelle économie manufacturière, en bon anglais, the new manufacturing economy qui associe le numérique, le design et la réapproriation de outils de production dans les fablabs ces nouvelles petites usines de proximité dont nous avions déjà parlé.

Une nouvelle révolution est donc en marche et nous n’avons pas fini d’en parler ensemble !

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