U-bé-ri-ser. Un nouveau verbe français qui provient du nom d’une société américaine, UBER, en passe de révolutionner le petit monde des taxis et qui défraie la chronique depuis plusieurs mois. Alors si UBER fait parler de lui c’est bien sûr parce qu’il touche au sacro-saint pré carré de la puissante corporation des taxis mais surtout parce qu’à travers ce cas particulier c’est une révolution économique sans précédent qui se joue, avec un vaste transfert de valeurs qui s’opère depuis plusieurs années et qui voit tous les secteurs de l’économie traditionnelle se faire bousculer voir vampiriser par les géants de numérique comme Google, Facebook, Amazon ou Netflix. Selon le patron de CISCO, John Chambers 2/3 des grandes entreprises auront disparu dans 20 ans et seront remplacées par ces grandes plateformes web qui donc, « ubérisent » l’économie traditionnelle. Un véritable big bang économique.
Comment peut-on définir cette ubérisation ?
Prenons le cas d’UBER pour bien comprendre. On a au départ un secteur très traditionnel, les taxis, qui assoient leur développement sur une sorte de monopole qu’ils paient très cher avec un système de licence. Le service n’est pas vraiment satisfaisant, notamment dans certaines grandes villes comme à Paris avec pas assez d’offre à certains moments et trop à d’autres, des prix élevés et quoi qu’en disent les taxis, une qualité de service pas toujours au rendez-vous. Tout d’un coup, la société UBER débarque avec un service numérique reposant sur le peer to peer, cette technologie qui permet de mettre en relation directe, en temps et dans l’espace, l’offre et la demande. Ce n’est pas vraiment des taxis, mais cela permet à chacun de transporter quelqu’un d’autre à un prix très modiques. Son succès est fulgurant. Lancé en 2009 à San Francisco, UBER est désormais présent dans 51 pays et 253 grandes métropoles mondiales. Elle est valorisée à près de 40 milliards de dollars. En quelques années à peine, un nouveau service très performant remplace l’ancien et une start-up venue de Californie défie les plus ancestrales corporations du monde entier. Malgré une résistance et un lobbying féroces, UBER continue de progresser, comme si c’était le sens de l’histoire.
Pourquoi assiste t-on à ce changement radical ?
L’économie est une science avec ses lois et ses règles. Dans l’économie capitaliste en particulier, la recherche du profit permet à des solutions innovantes de remplacer les acteurs traditionnels d’un secteur qui s’est sclérosé ou endormi, voir qui est devenu monopolistique. Les grandes réussites de la nouvelle économie numérique reposent bien sûr sur des ruptures technologiques qui permettent des innovations comme le peer to peer qui fait le succès de ce qu’on appelle à tort ou à raison l’économie collaborative.
Mais à la base de ce succès, il y a aussi une réponse concrète pour satisfaire les clients en terme de services et de prix. Le cas d’UBER est en ce sens très révélateur de différents secteurs dont les services ne sont pas ou plus à la hauteur des attentes des consommateurs mais qui perdurent grâce au poids qu’ils représentent, aux règles et aux différentes protections dont ils bénéficient. Enfin, ces nouveaux services reposent sur de nouvelles pratiques testées et popularisées par les jeunes générations, qui sont à la fois de grands utilisateurs de technologies et très ouverts à de nouvelles formes de services?
L’ubérisation concerne t-elle l’ensemble de l’économie ?
Presque tout les secteurs, à part peut-être la production de matières premières. Voyez en France les succès de Balablacar et d’Uber pour le transport. Du Bon Coin pour les petites annonces qui vient de dépasser Pôle Emploi pour le nombre d’offres d’emplois publiées et qui génère des milliards d’euros de transaction entre particuliers chaque année. Les plus exposés sont les secteurs ou le degré d’insatisfaction des clients et le plus élevé. Je ne citerai personne mais il suffit de voir tous les secteurs déjà bouleversés par cette ubérisation : la musique avec Apple, le commerce de détail avec Amazon, la télévision et la vidéo avec Youtube ou Netflix, les agences matrimoniales avec Meetic, la publicité avec Google et Facebook, etc. On a même inventé un nouveau mot pour désigner ces géants du web qui dévorent tout sur leur passage : les GAFA pour Google, Apple, Facebook et Amazon.
Cela n’est-il pas risqué de tout confier à des géants ?
Bien sûr car ils n’échapperont sans doute pas aux mêmes lois économiques et leur position quasi monopolistiques comportent bien sûr de nombreux risques de différentes natures. Ces fameux GAFA sont d’ailleurs dans le collimateur de l’Etat français mais aussi de la Commission Européenne non seulement pour des pratiques déloyales mais parce qu’ils échappent également au fisc, ce qui est bien sûr très problématique vu la situation des finances publiques de nombreux Etats.
Par ailleurs ces énormes plate-formes sont également de puissants outils de collecte et de traitement de données. Ceci est risqué et problématique sur le plan éthique pour les utilisateurs qui sont surveillés dans leur moindre faits et gestes de consommation mais aussi au niveau économique avec le risque que ces géants diversifient leur activités en profitant de l’accès à toutes ces informations. Google investit désormais largement le secteur de la santé et va devenir un opérateur de Telecom. Uber livre déjà des colis, va donc faire concurrence à la Poste et aux sociétés de transport professionnel. Facebook souhaite aussi prendre sa part du gâteau de cette économie collaborative en s’appuyant sur ses milliards d’utilisateurs avec un service de vente sur Facebook qui risque de bousculer encore beaucoup de secteurs.
Enfin, tous ces géants numériques sont américains et la France et l’Europe perdent d’une certaine façon une part de leur souveraineté en laissant à ces plateformes des pans entier de leur économie.
Comment lutter contre cette ubérisation ?
Il y a deux catégories de réponse. Comme au football. L’attaque ou la défense. Le premier réflexe est la défense avec l’exemple des taxis qui exercent un lobby intense pour qu’Uber soit interdit. Cela marche plus ou moins bien pour l’instant mais il sera difficile de résister à cette vague de fond. La stratégie de l’attaque semble plus prometteuse en misant sur l’innovation car nous avons, en France et en Europe un formidable vivier de start-up et les grands acteurs de l’économie traditionnelle comme par exemple la SNCF, la Poste ou Renault doivent aussi se mettre à cette nouvelle économie en intégrant des services collaboratifs, en repensant leur métier et en finançant le développement de fonctionnalités innovantes qui améliorent leurs services.
Bref, dans ce monde en plein mutation, le numérique est un véritable agent de “destruction créatrice” comme le décrivait déjà au siècle dernier l’économiste Josef Schumpeter.
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