make-money-onlineLa médiatisation récente des stars américaines de l’économie numérique comme Uber, Air BNB ou Amazon a permis de se pencher de près sur les modalités et les conséquences d’une révolution numérique qui, dit-on, va balayer tous les modèles économiques en place. C’est donc l’occasion pour moi de pointer une facette plutôt sombre de cette nouvelle économie à travers une nouvelle division internationale du travail permise par le numérique et que l’on appelle le micro-travail. Au delà de ce nouveau phénomène illustré par la plateforme Mechanical Turk de l’américain Amazon, c’est la notion même de travail numérique, ou de digital labor en anglais qui est en question. Entre robots intelligents et micro-travailleurs d’un véritable prolétariat numérique mondialisé, la question qui se pose désormais est celle du modèle de travail que l’économie numérique est en train d’inventer et d’imposer au monde.

Qu’est-ce que le micro-travail ?

MicrotravailC’est un ensemble de toutes petites tâches informatiques qui ne peuvent (encore) être totalement déléguées à des ordinateurs ou à des robots. Il faut donc la sous-traiter à des humains mais pour un coût extrêmement faible. Ces micro-tâches numériques comprennent donc un ensemble de manipulations informatiques très simples comme l’identification et le nommage d’objets sur une image, la vérification de mots clés sur un produit en ligne, la réponse à un sondage en ligne, la transcription de sons en texte, la traduction de petits textes d’une langue à l’autre, l’inscription à des sites internet, la participation à des forums de discussion, la visite de sites web, la notation de vidéos ou d’articles, l’inscription à des concours en ligne ou encore l’écriture de commentaires et de critiques sur des articles. Je passe sur le détail de l’ensemble de ces micro-tâches.

Comment devient-on micro-travailleur ?

Pour réaliser ces micro-tâches, il n’est pas nécessaire d’avoir une grande qualification. Lire, écrire et avoir une connexion à Internet suffit. Ensuite, on s’inscrit sur une plateforme de micro-travail et on s’engage à réaliser un ensemble de micro-tâches sur un temps donné : 1h, quelques heures ou sur une journée. Tout cela en échange évidemment, de micro-rémunérations.

Quelles sont les conditions de travail et de rémunération ?

centimesDésastreuses. Le micro-travail repose sur la logique du travail à la tâche qui est payé une fois qu’il est réalisé et validé par celui qui le commande. Cela donne un pouvoir total à l’employeur car il ne faut pas oublier que tout cela se fait par le biais de plateforme numériques. Quand à la rémunération, elle varie de quelques centimes d’euros à quelques euros au mieux pour des tâches longues et complexes. Par exemple, 0,03 centimes d’euros pour traduire une fiche produit de l’arabe vers l’anglais, 5 centimes d’euros pour vérifier les images et les mots-clés d’un site de e-commerce, et 13 euros, la belle affaire ! pour retranscrire deux heure d’enregistrement audio, ce qui correspond, précisons-le à 15 heures de travail). Bref, une véritable exploitation, un dumping social numérique à l’échelle mondial.

Qui sont les employeurs de ces micro-travailleurs ?

indiensLe micro-travail a été médiatisé par Amazon, la célèbre plateforme de commerce électronique américaine qui a lancé Mechanical Turk, une plateforme mondiale de mise en relation de l’offre et de la demande de micro-travail. Près de 500 000 personnes pratiquent régulièrement le micro-travail via cette plateforme, qui est une sorte « d’agence d’intérim » mondiale pour les micro-travailleurs, nécessaire au bon fonctionnement de l’économie numérique. De nombreux sites web existent aussi comme Microworker, Minuteworker, Jobboy, Myeasytask, Microlancers, MicroJob… Le plus surprenant c’est que des employeurs plus traditionnels ont désormais recours aux bons services des micro-travailleurs. Des universités pour répondre à des enquêtes scientifiques mais aussi de grandes entreprises comme la plus grande compagnie énergétique d’Allemagne, que je ne citerai pas, qui a recours aux micro-travailleurs pour numériser ses millions de relevés énergétiques.

Pourquoi un tel succès ?

Pouvoir gagner de l’argent depuis chez soi, jusqu’à quelques euros par jour et sans qualification particulière, c’est toujours ça de gagner pour un occidental au chômage et dans la précarité. Mais c’est une véritable manne pour un indien ou un africain lettré et connecté. Les indiens sont d’ailleurs présents en masse sur ces plateformes car ils ont l’avantage de parler anglais, d’être assez connectés et corvéables à merci. Dans le contexte de crise de l’emploi et de boom de l’économie numérique, il y a à la fois du travail, de la main d’oeuvre bon marché et aucune règles contraignante. Tout ce qu’il faut pour que ça marche !

Quelles sont les limites et les dangers à cette forme de travail ?

mechanicalturkLe nom même de la plateforme d’Amazon, Mechanical Turk fait référence à une supercherie datant du XVII siècle qui mettait en scène un automate habillé en costume turc capable de jouer aux échecs et de résoudre des problèmes complexes. En réalité cet automate était manipulé par un humain. Cette référence explicite et assez cynique d’Amazon en dit long sur la supercherie actuelle de l’économie numérique. Car on imagine que la plupart des sites de e-commerce et des plateformes collaboratives qui rendent des services merveilleux quasi gratuitement fonctionnent avec des algorithmes puissants et des super-calculateurs.  Si c’est en partie vrai, la face sombre de cette économie numérique est quelle a besoin d’une main d’oeuvre abondante et quasi gratuite pour fonctionner et quelle est donc à l’origine d’un véritable prolétariat numérique ou prolétariat cognitif.

Quelle sont les perspectives du travail numérique ?

lutte-des-classesLes progrès de l’intelligence artificielle va sans doute reprendre aux micro-travailleurs une partie de leur micro-tâches dans un proche avenir. C’est le sens de l’évolution technologique. Mais il est probable qu’il restera toujours des tâches que seuls les humains pourront convenablement réaliser, surtout dans des conditions de travail aussi avantageuse pour les employeurs. En fait, le boom du micro-travail est assez révélateur des défauts et dérives de l’économie numérique, comme l’a montré récemment la crise des taxis avec l’arrivée d’Uber.

Système totalement mondialisé, décentralisé, flexible, précaire, sans règles, permettant de remettre l’individu au coeur du système et de fait, échappant aux règles du collectif et du bien commun. Le défi qui attend les organisations qui régulent les économies et les sociétés (gouvernements, Etats, organisations internationales) est donc de taille car il leur fait repenser leurs rôles dans ce nouveau contexte.

Et si possible rapidement sous peine d’être elle-même balayées par cette révolution technologique. Après tout, la révolution française est sans doute la fille, certes éloignée, de l’invention de l’imprimerie, il y a déjà plus de 300 ans.

Jean Pouly (@jeanpouly)

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